GLYPHOSATE L’IMPOSSIBLE DÉBAT
INTOX, MENSONGES ET BILLETS VERTS
Introduction
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La plupart des gens vous l’assureront sans l’ombre d’une hésitation : le dossier du glyphosate est une affaire classée ! Un tribunal californien n’a-t-il pas reconnu le glyphosate responsable de la terrible maladie qui a frappé le jardinier Dewayne Johnson, dont les jours sont comptés ? Le tribunal d’Oakland n’a-t-il pas, un peu plus tard, condamné la firme qui le fabrique, Monsanto, à verser 2 milliards de dollars au couple Alva et Alberta Pilliod « à titre punitif », estimant qu’il existait un lien entre l’usage de cet herbicide et le lymphome non hodgkinien dont sont atteints les deux septuagénaires ? La révélation des « Monsanto Papers », qui a fait suite à une enquête réalisée par des journalistes indépendants, n’a-t-elle pas mis au jour les méthodes douteuses du géant américain, qui, connaissant de longue date la toxicité de son produit, aurait trompé sciemment l’ensemble des agences sanitaires en charge de son autorisation ?
Devant un tel faisceau de faits accablants, cet herbicide devenu célèbre sous le nom de « Roundup », épandu par les agriculteurs des cinq continents, utilisé par des millions de jardiniers amateurs de tous pays depuis plus de quarante ans, est donc désormais voué à être banni de tout usage.
Alors, pourquoi revenir sur cette affaire ? Tout simplement parce que, aux yeux de la majorité du monde agricole, cette interdiction apparaît comme totalement injustifiée. Utilisateurs réguliers de ce produit, les agriculteurs ne comprennent pas pourquoi un herbicide réputé inoffensif, et largement employé depuis de nombreuses années, se retrouve au centre d’une telle polémique. Et moins encore que ce produit soit soudainement considéré par la majorité des citoyens comme ultra-dangereux. Fruit de plusieurs années d’investigation, notre enquête abonde dans le sens des agriculteurs qui doutent et se posent des questions : il y a en effet quelque chose de pas très net dans ce soudain mouvement de « glyphophobie »…
Le point de départ de toute l’affaire se situe le 20 mars 2015. À savoir très exactement le jour où, pour la première fois de son histoire, une agence internationale a émis à son encontre un avis aussi défavorable. C’est à cette date, en effet, que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) annonce avoir classé trois pesticides dans la catégorie « cancérogène probable », dernier échelon avant la qualification de « cancérogène certain ». Il s’agissait de deux insecticides : le diazinon et le malathion – dont l’utilisation était déjà restreinte en Europe –, et d’un herbicide : le glyphosate. Seul ce dernier jouira du privilège de provoquer un électrochoc à l’échelle de la planète. Ainsi que le note avec justesse le journaliste du Monde Stéphane Foucart, le glyphosate n’est pas une simple substance chimique, « mais la pierre angulaire de la stratégie du secteur des biotechnologies ». Il explique : « La grande majorité des plantes génétiquement modifiées (PGM) mises en culture dans le monde sont en effet conçues pour pouvoir absorber cet herbicide sans péricliter, permettant ainsi un épandage direct sur les cultures pour désherber les surfaces cultivées. » Autrement dit, derrière le glyphosate, c’est le débat des OGM qui refait surface.
Et le voilà donc désormais accusé de donner potentiellement le cancer. Le fait qu’il figure dans le catalogue des produits vendus par Monsanto fait d’ailleurs de lui un coupable tout désigné. Et la firme de Saint-Louis aura beau protester haut et fort contre les conclusions du CIRC, son discours demeurera parfaitement inaudible, occulté par sa sulfureuse réputation. Par-delà le cas du glyphosate, ce serait une occasion formidable de mettre à genoux cette diabolique entreprise américaine, espèrent alors ses opposants, qui n’auraient pas parié un sou sur l’avenir de Monsanto, racheté depuis lors par le géant allemand Bayer.
Pourtant, pour les agences sanitaires qui, toutes sans exception, ont autorisé son usage, rien ne justifie son interdiction. Et elles restent formelles : il n’y a absolument aucune preuve du caractère cancérogène du glyphosate. Jusqu’à aujourd’hui, aucune d’entre elles n’a d’ailleurs modifié son avis à son sujet. Au contraire, elles demeurent unanimes, y compris l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), notre agence nationale en charge de l’homologation des pesticides.
Certes, depuis le début de la polémique, l’ANSES a bien retiré plusieurs spécialités à base de glyphosate, mais sans pour autant disposer d’éléments pouvant confirmer un éventuel caractère cancérogène du glyphosate. Quoi qu’en pense l’immense majorité des citoyens, le glyphosate, utilisé dans des conditions normales, ne pose aucun problème pour la santé humaine et pour l’environnement, continuent d’affirmer à l’unisson les experts du monde entier.
En novembre 2018, Santé Canada, l’agence canadienne en charge de l’évaluation des produits chimiques, a d’ailleurs renouvelé son autorisation pour une période de quinze ans, tandis que l’EPA, l’agence américaine en charge de l’environnement, a publié en avril 2019 un avis estimant que « l’utilisation du glyphosate ne pose pas de risque pour la santé publique ». Comme l’a assuré Alexandra Dunn, l’une des responsables de l’agence américaine : « Il n’y a pas de preuve que le glyphosate cause le cancer », ajoutant pour mettre les points sur les i que « les enfants ne prennent aucun risque à jouer sur une pelouse résidentielle traitée ». Une affirmation qui n’a rien de très surprenant puisqu’en 2017 déjà, c’est-à-dire bien après avoir pris connaissance de l’avis du CIRC, l’EPA avait jugé que le glyphosate n’était pas cancérogène.
Quant à Roger Genet, le patron de l’ANSES, il a déclaré, lors d’un entretien accordé à la revue Agriculture et Environnement en avril 2018, n’avoir aucun élément lui permettant d’interdire son usage : « Bien que beaucoup de contrevérités circulent au sujet du glyphosate – notamment sur un éventuel effet perturbateur endocrinien qui n’a jamais été démontré et qu’aucun élément ne permet de suggérer – nous ne disposons d’aucun élément qui pourrait permettre un retrait immédiat des Autorisations de mise sur le marché (AMM), en l’état actuel des connaissances. » Des propos qu’il a encore réaffirmés le 18 mai 2019 sur Europe 1, face au journaliste Patrick Cohen : « Aujourd’hui, en France, il n’y a pas de risque sanitaire avec les produits à base de glyphosate, dont l’utilisation est strictement encadrée. »
Et fin octobre 2019, dans une fiche de phytopharmaco – vigilance, l’ANSES a publié une synthèse très rassurante des données de surveillance relatives au glyphosate en France, concernant sa présence dans les eaux, les aliments ainsi que les niveaux d’imprégnation chez l’homme. Alors, quid des retraits des trente-six spécialités à base de glyphosate, notifiés en décembre 2019 par l’ANSES ? Ils concernent « des données manquantes pour certains, des études de génotoxicité absentes pour d’autres, ou des retards », a précisé Caroline Semaille, directrice générale déléguée du pôle Produits réglementés de l’agence. Mais à aucun moment, l’agence n’a modifié ses conclusions sur l’usage sans risque de cet herbicide.
Même auprès de chercheurs que l’on ne pourrait certainement pas accuser d’être favorables à Monsanto, l’interdiction du glyphosate apparaît comme une mauvaise idée. C’est le cas par exemple de Robin Mesnage, membre du conseil scientifique du CRIIGEN de Corinne Lepage et auteur d’études en collaboration avec le militant anti-OGM Gilles-Éric Séralini. « Le glyphosate, c’est peut-être l’un des pes- ticides les moins toxiques. Donc, il faut réfléchir avant de l’interdire », a-t-il indiqué, estimant que, tant qu’à interdire les pesticides, « il faudrait commencer par les plus toxiques. Et le glyphosate ne l’est pas ». Toujours selon le chercheur, « l’agriculture de conservation qui utilise le glyphosate pour nettoyer et préserver les sols, c’est une bonne chose ».
Et si rares sont aujourd’hui les responsables politiques à oser défendre l’usage du glyphosate, c’est cependant le cas de l’ancien ministre de l’Agriculture de François Hollande, Stéphane Le Foll, qu’on pourrait difficilement soupçonner d’être un troll de Monsanto ! « Pour se passer des phytosanitaires, pour se passer du glyphosate, il faut changer complètement tous les modèles de production agricole qui ont été conçus il y a cinquante ans avec le glyphosate », a fait valoir l’ancien ministre, avant de trancher : « Ceux qui sont capables de dire qu’en deux ans ils changent tout, ils racontent des histoires. »
L’acte d’accusation du glyphosate – son caractère potentiellement cancérogène – ne serait-il donc pas aussi accablant
qu’il semble l’être pour l’opinion publique ? En effet, il y a bien, d’un côté, les agences sanitaires en charge des autori- sations de mise sur le marché, qui estiment n’avoir aucun élément qui permette d’incriminer le glyphosate dans l’émer- gence des cancers ou d’autres maladies. Faute d’éléments tangibles, l’accusé reste donc innocent, selon leurs experts. Et de l’autre côté, il y a l’opinion publique, dont l’avis a été forgé par les militants anti-OGM et par des reportages anxiogènes, à l’image de ceux produits par Élise Lucet, qui s’est spécialisée dans les documentaires à charge. S’appuyant sur les « Monsanto Papers », ces fameux documents rendus publics par les autorités américaines, les opposants au gly- phosate balayent d’un revers de main l’avis des experts, ac- cusant Monsanto d’avoir trafiqué les études. Autrement dit, d’avoir réussi à manipuler l’ensemble des agences sanitaires mondiales et, par ricochet, les responsables politiques de la quasi-totalité des États du monde. Car, comme ce fut le cas pour l’amiante, les intérêts financiers passent hélas avant la sécurité et la santé, clament-ils en chœur.
Le tableau brossé par ces opposants correspondrait-il à la réalité ? Comment peut-on expliquer une telle différence de perception entre le grand public et les agences sanitaires ? La réponse à ces questions permettra de saisir la vérité sur l’affaire du glyphosate, qui incarne sans doute la plus grande manipulation médiatique de l’histoire récente. Pour mieux y parvenir, nous nous aiderons du fil rouge de la fameuse pièce de théâtre de Reginald Rose, Douze hommes en colère, qui a fait l’objet d’un film en 1957 devenu célèbre grâce à la géniale interprétation d’Henry Fonda. Dans ce huis clos, rendu plus étouffant encore par la chaleur qui sévit au dehors, un jury de douze hommes doit se prononcer sur l’acquittement ou la condamnation à mort d’un jeune homme d’origine modeste accusé du meurtre de son père. Lors du premier vote, onze jurés votent « coupable », tant les faits plaident manifestement en défaveur de l’accusé. Mais la décision doit être prise à l’unanimité. Sommé de se justifier, le douzième homme, incarné par Henry Fonda et qui a voté « non coupable », jette le trouble sur l’assistance en expliquant que la vie d’un homme lui semble bien mériter qu’on s’y attarde quelques petites heures…
Coupable idéal du fait de sa filiation avec Monsanto, comme le jeune homme l’est en raison de son statut social, le glyphosate ne mérite-t-il pas également qu’on s’y attarde, laissant pour un instant préjugés et a priori de côté ?