Science ou justice ? Qui peut juger de « l’innocence » ou de la « culpabilité » du glyphosate ?
Alors qu’un jury californien vient de nouveau « d’innocenter » le glyphosate dans une affaire opposant l’entreprise Bayer à une femme atteinte d’un lymphome non hodgkinien, Gil Rivière-Wekstein analyse les résultats des différentes procédures portant sur le glyphosate outre-Atlantique. Des issues souvent contradictoires qui confirment que la science doit avoir la première place dans ce débat.
Le 9 décembre dernier, un jury californien a « innocenté » le glyphosate dans une énième affaire opposant le fabricant Bayer à une californienne. Pouvez-vous nous en dire plus [1] ?
Cette nouvelle est passée relativement inaperçue en France alors même que les jugements contraires bénéficient souvent de fortes reprises médiatiques. En l’occurrence, il s’agit d’une femme californienne, Donnetta Stephens, qui a reçu un diagnostic de lymphome non hodgkinien en 2017. Elle a attribué sa maladie au Roundup, en expliquant qu’elle a utilisé ce produit pendant 17 ans en effectuant des pulvérisations deux fois par semaine dans son jardin. Elle a poursuivi Monsanto (racheté par le Groupe Bayer) en 2020 pour ne pas l’avoir avertie que le glyphosate, la substance active du Roundup, pourrait provoquer le cancer. Le jury vient de rendre sa décision, contestant ses affirmations.
Pourtant, en 2018, le jardinier Dewayne Johnson a eu gain de cause contre Bayer dans la première affaire concernant le glyphosate ?
En effet, il y a déjà eu plusieurs jugements, avec des conclusions contradictoires. Ainsi, en 2018, Dewayne Johnson, atteint d’un cancer en phase terminale, a obtenu devant la cour de l’État californien 289 millions de dollars de dédommagement – montant revu à la baisse une première fois à 78,5 millions de dollars et ensuite, lors du procès en appel en juillet 2020, à 20,4 millions de dollars.
Ensuite, en 2019, un jury a estimé que le Roundup avait contribué au développement du cancer d’Edwin Hardeman, avec à la clé un dédommagement de 80 millions de dollars (montant revu à la baisse à 25 millions).
Donc deux procès et deux condamnations. Et depuis, c’est l’inverse. D’abord, en octobre 2021, un tribunal californien a jugé qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le Roundup et le cancer des cellules du système lymphatique contracté en 2016 par un jeune garçon alors âgé de 4 ans. Et maintenant, dans l’affaire Donnetta Stephens, le jury n’a pas davantage retenu de lien de causalité. Ces quatre cas, avec des conclusions opposées, montrent bien toute la difficulté pour de simples jurés de trancher une question qui relève de la science et non de la croyance.
Mais alors, qui croire ?
Justement la science ! Les jurys américains, quelles que soient leurs compétences, ne sont pas composés de toxicologues, de biologistes, de chercheurs. Ce sont des citoyens tirés au sort, qui prennent une décision sur un sujet éminemment complexe sur lequel existe une immense littérature scientifique. Leur jugement n’a donc aucune valeur scientifique !
Pour savoir si oui ou non le glyphosate peut avoir des conséquences néfastes sur la santé, il faut se fier aux agences sanitaires dont c’est la mission. Elles ont été mises en place dans le monde entier pour effectuer des évaluations sanitaires et environnementales. Elles sont indépendantes, financées par l’argent des contribuables et constituées d’un large panel d’experts.
Et que disent-elles depuis des années ?
Le glyphosate, dans des conditions d’usage normal, ne présente aucun risque pour la santé humaine. Les agences sanitaires mondiales sont unanimes ; les dernières ayant rendu cette conclusion étant les agences de quatre états membres de l’UE (France, Hongrie, Pays-Bas, Suède) dans le cadre de la procédure de réhomologation du glyphosate fin 2022 en Europe[2]. Je tiens particulièrement à souligner que notre propre agence, l’Anses, partage cet avis.
note
2 : https://www.anses.fr/fr/node/149825